PRÉVOSTIN DE CRÉMONE

PRÉVOSTIN DE CRÉMONE
PRÉVOSTIN DE CRÉMONE

PRÉVOSTIN DE CRÉMONE (fin XIIe-déb. XIIIe s.)

L’un des premiers chanceliers à Paris de l’université naissante et l’une des figures maîtresses de la fin du XIIe siècle, Prévostin de Crémone est représentatif d’une époque où la société chrétienne est internationale. Issu d’une obscure famille lombarde, il étudie la logique, le droit, peut-être à Bologne, et la théologie sans doute à Paris, sous la direction de Maurice de Sully. Homme de grande culture, il connaît la grammaire, la musique, l’astronomie, l’arithmétique; il est imprégné de la Logica vetus et de la Logica nova d’Aristote. Il sait l’hébreu, non le grec; il ne fait jamais de citations d’auteurs profanes.

Prévostin enseigne à Paris en 1193, au témoignage de Jean de Matha, qui le décrit comme un bon clerc parisien, régent en théologie, ayant la réputation d’un philosophe. En 1195, il est écolâtre de l’école cathédrale de Mayence. C’est peut-être dans cette ville — à moins que ce ne soit en Lombardie — qu’il entre en rapport avec des hérétiques (cathares ou passagii ?) et qu’il en convertit quelques-uns, selon Guillaume d’Auxerre. Son activité à Mayence, en dehors de ses fonctions universitaires, se manifeste à l’occasion de litiges, dans lesquels il tient le rôle de juge du Saint-Siège. Il enquête sur la conduite d’évêques, rétablit la discipline ecclésiastique dans des maisons religieuses. Mais il est désavoué par le pape Innocent III pour son intervention en faveur d’un candidat au siège de l’archevêché de Mayence. Cependant, le blâme pontifical ne l’empêche pas de poursuivre à Paris son activité juridique, dans divers procès ecclésiastiques, et même d’être élu, en 1208, chancelier de l’université de Paris, centre de la chrétienté. Les maîtres y étaient alors Étienne Langton, Robert de Courçon, Thomas Gallus, Guillaume d’Auxerre, qui rapporte que Prévostin aimait à raconter ses expériences missionnaires auprès des hérétiques. Dans des sermons, il fait allusion à la turbulence des écoliers, aux divisions de l’université entre théologiens et «artiens». Lui-même d’ailleurs prend parti. Il abandonne sa charge en 1209. En 1210, il disparaît de l’histoire. Est-il mort? A-t-il pris sa retraite?

Sa production littéraire est abondante. Mais plusieurs des œuvres qu’on lui attribue souvent peuvent avoir été inspirées de lui. Ses œuvres authentiques représentent un effort de synthèse personnelle dans les différentes branches de la science sacrée. C’est pourquoi elles portent le nom de Summa : Summa theologica , Summa de officiis , Summa super Psalterium . On a aussi de lui des sermons.

La Summa theologica n’est pas un simple commentaire des Sentences de Pierre Lombard; elle s’inspire plutôt du Commentaire de Pierre de Poitiers, y ajoute de nouvelles questions, ne le copie jamais. Elle est la coordination des questions disputées par le maître dans son enseignement. Elle a dû être composée graduellement. Selon certains, elle représenterait l’enseignement du maître à la fin de sa carrière; mais d’autres situent cette Somme entre 1190 et 1194. Son influence doctrinale demeure limitée, car elle ne s’intéresse guère aux nouveaux problèmes posés par la philosophie d’Aristote.

La Summa de officiis a été insérée presque totalement dans le Rationale divinorum officiorum de Durand de Mende, le livre le plus populaire du Moyen Âge sur la liturgie. Et c’est sous cette forme qu’elle est passée à la postérité. Elle a été composée entre 1196 et 1198.

La Summa super Psalterium se présente sous la forme de «réportations»; elle ne glose pas le psautier lui-même, mais le commentaire du Lombard. C’est peut-être le premier exemple de ce fait. Elle relève d’un genre intermédiaire entre la glose et l’homélie, et elle est postérieure à 1196.

Les sermons de Prévostin ont été prononcés les uns à Mayence, d’autres à Paris; plusieurs sont des sermons universitaires (ad scholares ). Il s’agit d’une prédication savante reflétant les préoccupations théologiques du temps.

D’autres œuvres ont été attribuées à Prévostin: un traité sur le péché originel et des quaestiones , dont deux seulement seraient authentiques; la Summa de paenitentia injungenda , manuel pratique du confesseur, qui serait plutôt inspiré de lui; La Summa contra haereticos , seul document important sur l’histoire de la secte lombarde des passagii , qui n’est probablement pas de lui; Collecta ex distinctionibus Prepositini , qui sont un petit dictionnaire de distinctions théologiques, dont certaines se retrouvent dans la Summa theologica . Prévostin serait l’auteur de quelques vers cités en marge de plusieurs manuscrits et chez Albert le Grand.

La Somme théologique de Prévostin se recommande à l’attention d’abord en ce que c’est une œuvre solide, équilibrée, quoique peu originale: son auteur a un souci constant de suivre la voie commune. Une de ses expressions favorites est: viam magistrorum nostrorum consequentes . Les contemporains louent son humilité: «Sur un tel sujet, aimait-il à dire, j’aimerais mieux être instruit qu’instruire.» Homme du XIIe siècle, il se tient à l’écart des courants de pensée issus d’Abélard et de Gilbert de La Porrée. Fidèle à la tradition du Lombard, il en adopte souvent les points de vue, par exemple sur l’identification des dons du Saint-Esprit avec des vertus et sur le nombre des dons. Mais sa réflexion personnelle l’amène aussi à dépasser les solutions du Maître des Sentences . Ainsi il admet que l’homme n’a pas été créé seulement in naturalibus , mais encore in gratuitis ; et il établit la distinction entre le naturale bonum , l’usus et la qualitas media (c’est-à-dire la potentia credendi , le credere et la fides ); c’est pourquoi les vertus naturelles informées par la charité peuvent devenir «gratuites»: il s’oriente vers la distinction entre nature et surnature. À propos de l’identification par le Lombard de la charité avec le Saint-Esprit, il essaie de trouver une solution qui sauve la coopération de l’homme et permette de considérer un acte de charité comme méritoire. Il concilie de même les formules traditionnelles, fides est fundamentum omnium virtutum et caritas est mater omnium virtutum : selon lui, la charité est dite la mère des vertus en raison de sa dignité, car elle nourrit celles-ci; elle est une des vertus infuses; elle se subdivise en deux vertus numériquement distinctes: l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain.

L’intérêt de Prévostin est qu’il est très bien informé des différentes opinions des magistri et les rapporte exactement. À ce titre, il est un témoin précieux de l’enseignement théologique du temps. Mais il n’est pas un chef d’école. Luttant contre l’invasion d’Aristote, multipliant les avertissements sur la vaine sagesse, les subtilités inutiles et l’interprétation de l’Écriture à l’aide de théories philosophiques, il n’a guère été entendu.

La Somme de Prévostin est remarquable, d’autre part, par une certaine défiance des conclusions théoriques trop rigoureuses. Est-ce là un trait du tempérament de l’auteur ou le fruit de son expérience d’administrateur, de juriste et de missionnaire, en contact avec les réalités humaines? Il est difficile de la dire. Ainsi il affirme que l’ignorance, comme telle, bien que conséquence du péché originel, n’est pas un péché dans la mesure où il n’y a pas mauvaise volonté. De même à propos du mouvement premier, considéré souvent comme un péché «parce qu’il procède du vice et tend vers l’illicite», il atténue la sévérité d’une telle conclusion. Si, avec le Lombard, il admet que la contrition parfaite est nécessaire pour la rémission des fautes graves, il reconnaît pourtant l’efficacité de l’attrition, accompagnée de l’absolution sacramentelle. Il pense que les premières peuvent adoucir les peines de l’enfer jusqu’au moment du jugement.

On s’est intéressé à sa théologie des sacrements, car c’était alors un problème d’actualité. À propos de l’efficacité des sacrements, pour indiquer qu’ils contiennent la grâce qui justifie, il a inventé la formule sacramenta sunt vasa gratiarum . Pour le baptême des enfants et la question de la nécessité de la foi, il est d’avis qu’ils ont la foi in habitu , non in usu . Pour l’eucharistie, il insiste sur la notion de transsubstantiation. Pour la pénitence, il affirme qu’elle est un sacrement, bien que la réalité (res ) précède le signe (sacramentum ), car le pénitent, déjà purifié par la contrition, l’est encore davantage par l’absolution et la satisfaction (sacramentum efficit quod figurat ). Pour le mariage, il croit à l’identité du contrat et du sacrement. Enfin, il soutient que l’ordination par un hérétique peut être valide.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем сделать НИР

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Historia Scholastica — Pierre le Mangeur Pierre le Mangeur (Petrus Comestor)[1] est un théologien né à Troyes[2] vers 1110. L ouvrage de sa vie L Historia Scholastica est un recueil des histoires de la Bible destiné à accompagner les clercs itinérants pour leur fournir …   Wikipédia en Français

  • Le Mangeur — Pierre le Mangeur Pierre le Mangeur (Petrus Comestor)[1] est un théologien né à Troyes[2] vers 1110. L ouvrage de sa vie L Historia Scholastica est un recueil des histoires de la Bible destiné à accompagner les clercs itinérants pour leur fournir …   Wikipédia en Français

  • Petrus Comestor — Pierre le Mangeur Pierre le Mangeur (Petrus Comestor)[1] est un théologien né à Troyes[2] vers 1110. L ouvrage de sa vie L Historia Scholastica est un recueil des histoires de la Bible destiné à accompagner les clercs itinérants pour leur fournir …   Wikipédia en Français

  • Pierre Comestor — Pierre le Mangeur Pierre le Mangeur (Petrus Comestor)[1] est un théologien né à Troyes[2] vers 1110. L ouvrage de sa vie L Historia Scholastica est un recueil des histoires de la Bible destiné à accompagner les clercs itinérants pour leur fournir …   Wikipédia en Français

  • Pierre le Mangeur — (Petrus Comestor; on trouve aussi Manducator)[1] est un théologien né à Troyes[2] vers 1110. Son œuvre principale, l Historia Scholastica est un abrégé de tous les livres de la Bible destiné à la formation du clergé et des prédicateurs. Sommaire… …   Wikipédia en Français

  • Raison et théologie —     Les Sentences de Pierre Lombard sont écrites après beaucoup d’autres ouvrages du même genre ; peu originales, de pensée faible et incertaine, elles ne doivent leur célébrité qu’à ce qu’elles ont servi de texte de commentaire aux théologiens… …   Philosophie du Moyen Age

  • Renaissance du 12e siècle — Renaissance du XIIe siècle La renaissance du XIIe siècle est une période majeure de renouveau du monde culturel au Moyen Âge, mise en évidence par les travaux des historiens Charles H. Haskins, Jacques Le Goff ou encore Jacques Verger.… …   Wikipédia en Français

  • Renaissance du 12è siècle — Renaissance du XIIe siècle La renaissance du XIIe siècle est une période majeure de renouveau du monde culturel au Moyen Âge, mise en évidence par les travaux des historiens Charles H. Haskins, Jacques Le Goff ou encore Jacques Verger.… …   Wikipédia en Français

  • Renaissance du XIIe siecle — Renaissance du XIIe siècle La renaissance du XIIe siècle est une période majeure de renouveau du monde culturel au Moyen Âge, mise en évidence par les travaux des historiens Charles H. Haskins, Jacques Le Goff ou encore Jacques Verger.… …   Wikipédia en Français

  • Renaissance du XIIe siècle — La renaissance du XIIe siècle est une période majeure de renouveau du monde culturel au Moyen Âge, mise en évidence par les travaux des historiens Charles H. Haskins, Jacques Le Goff ou encore Jacques Verger. Stimulée par un contexte de… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”